Raymond Ranjeva : « Tous les secteurs de la vie sociale sont en crise »

Publié le par lexpressmada.com

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L'initiateur du programme « Hetsika Vonjy aina », exprime son désaccord sur la tenue des élections dans le contexte actuel et plaide toujours pour l'ouverture d'une « véritable » Transition.

• Selon vous, sommes-nous régis par la Constitution, la feuille de route ou quelles règles de droit ?

Tout d'abord, je tiens à vous remercier de m'avoir approché. Je suis resté discret depuis plusieurs mois pour des raisons évidentes. Ma fille et moi-même sommes encore en liberté provisoire. En réponse à votre question, je dirai qu'il faut tenir compte de notre présente situation constitutionnelle. Il y a accord unanime pour constater que la HAT (Haute autorité de la transition) est un pouvoir de fait. La légitimité du régime est à établir non pas par rapport à celui qu'il a renversé mais par rapport à des conditions qui ont recueilli l'accord de tous. Une Transition inclusive et consensuelle. Tant que le régime ne satisfait pas ces deux conditions, il n'y a pas un véritable régime de Transition. Il y a une HAT.

• Quel crédit accorder alors aux actes pris par le gouvernement et aux lois votées par le Parlement ? 

En droit constitutionnel, une fois la légalité rétablie par la mise en place d'une véritable Transition, on procède à une évaluation des dispositions prises par les autorités de fait. Dans le jargon juridique, on appelle cette mesure la révision des lois « scélérates ». Tous les pays ont procédé ainsi.

• Pensez-vous toujours qu'il est réaliste d'instaurer une nouvelle Transition ? 

Une Transition « consensuelle et inclusive », et j'ajouterai « neutre » est incontournable.

• De quelle manière pourrait-on arriver à cette Transition neutre et inclusive ? 

Il faudra consolider la stratégie du dialogue entre Malagasy, puis, avec la communauté internationale, tout en dynamisant une stratégie de sortie de crise. Il ne suffit pas que les partis politiques se retrouvent entre eux pour dire que la crise est terminée. Nous avons perdu beaucoup de temps. Il est urgent qu'une véritable Transition mette le peuple, l'État et la Nation sur la voie du salut.

• La crise actuelle n'est-elle pas un reflet de la faillite de la société ? 

Vous avez raison. Lorsque l'on envisage les crises politiques, il faut avoir une approche globale et non parcellaire. Tous les secteurs de la vie sociale sont en crise. La crise est politique mais aussi économique, financière et morale. Inutile de nous lamenter sur nos malheurs. En deux ans et demi, nous avons mangé notre capital comme disent les financiers. Plusieurs se demandent si la démobilisation n'est pas la conséquence d'une attitude défaitiste. Mais je crois qu'elle résulte de plusieurs erreurs, d'abord politiques. Adopter une attitude providentialiste en comptant toujours sur le « sitrapon'Andriamanitra » (la volonté de Dieu) c'est se complaire dans l'impuissance.

• Comment alors mettre fin à cette crise presque générale ? 

La première opération à réaliser est de briser ce sentiment d'impuissance dans l'esprit des citoyens et, pour cela, mobiliser la capacité d'indignation et d'action. Ensuite, il y a un problème de fond. C'est ce que j'appellerai le redressement éthique, qui comprend non seulement la promotion des valeurs de justice, de paix, de « fihavanana «, mais également la réhabilitation du sens de la solidarité. Remarquez que la solidarité ne doit pas être la consécration du parasitisme social, mais plutôt l'avènement d'une civilisation dans laquelle les uns se sentent redevables vis-à-vis des autres et conçoivent un devenir en commun à Madagascar, avec tous les Malagasy.

• Vous avez lancé ce projet depuis quelques temps. Êtes-vous écouté ? 

Nous avons été les premiers à poser le problème de la neutralité positive de la Transition. Lorsque j'ai lancé cette idée, on me souriait. Or, actuellement, j'observe que, aussi bien sur le plan national qu'international, l'idée d'une Transition neutre est acceptée. Ce projet apaise les relations au sein de la société malgache et fait sûrement son chemin. Cet engagement pour la neutralité de l'administration et du pouvoir tient lieu de langage commun entre ceux qui pensent à l'avenir du pays.

• Comment se fait-il que cette voie que vous proposez ne s'impose-t-elle pas ? 

Dans une sortie de crise, il ne s'agit pas d'imposer des solutions. Contrairement à l'idée selon laquelle un faiseur d'opinion ou un dirigeant impose des organes chargés de gérer la sortie de crise, notre démarche se fonde sur l'intelligence des protagonistes, l'engagement loyal et sincère de tous pour accepter de sortir de la crise. En d'autres termes, nous souhaitons agir en catalyseur des opinions, propositions et offres de service mais non en juges ou décideurs. Est bien prétentieux celui qui prétend, sans votation démocratique, être le représentant du peuple. Pourquoi ne pas prendre le pari de la neutralité positive qui permet à tout le monde de gagner ? Elle ne tient en otage ni le peuple, ni l'avenir de la Nation, ni la refondation de l'État. Il faut plutôt voir un rapport de forces entre des idées et non entre des forces brutales.

• Que répondez-vous à l'argument du régime selon lequel seules les élections constituent l'unique voie de sortie de crise ?

Le problème n'est pas l'organisation des élections qui représentent le seul mode démocratique pour accéder au pouvoir. La vraie difficulté est de savoir s'il s'agit d'élections-prétextes, d'élections de justification, ou bien d'élections destinées à permettre le règlement des problèmes politiques profonds que vit Madagascar ? Des élections organisées à la hâte, en mettant à l'écart certains candidats potentiels, sans respect de la loyauté, sans accord politique préalable sur les modalités de la participation populaire ne permettront que le report des solutions. La survenance d'une nouvelle crise dans deux ou trois ans n'est pas alors à exclure. Croyez-en mon expérience, il y a des pays dans lesquels les élections n'ont fait qu'aggraver la situation. Et dans les pays où l'on a mis trois ans pour préparer l'organisation des consultations populaires, nous avons affaire à l'avènement d’un régime démocratique qui permet de résoudre les crises dans le cadre des institutions acceptées et reconnues.

• Pensez-vous que l'idée que vous proposez ait encore une chance de se concrétiser ?

À mon tour de vous poser une question. Est-ce qu'on veut sortir Madagascar de cette prise profonde, ou veut-on satisfaire des intérêts particuliers ? Il est important que nos relations soient apaisées avant que chacun puisse exercer ses droits. Tant que l'intérêt général n'est pas respecté, nous reviendrons dans la rue ou nous sombrerons dans la violence et le désespoir.

• Comment allez-vous prendre le pouvoir ?

J'ai fait une offre de service, qui est, selon moi, une manière de servir la République. Et je la maintiens. C'est une offre réfléchie, partie d'un constat général d'une impasse pour emprunter une nouvelle voie. Ce n'est pas par la violence ni par la corruption que je pense la concrétiser.

• Que pensez-vous de la confusion entre les résolutions du Sommet de Sandton et la lettre adressée par Tomaz Salomao aux partis ?

C'est embarrassant de porter un jugement de valeur sur le travail d'un autre. Une question me préoccupe. A-t-on effectivement mené une médiation au sens du droit du règlement des différends ? Le succès de tels exercices se fonde sur la confiance des Parties envers la tierce personne et envers le règlement de procédure.

• En tant que juriste, que pensez-vous de la démarche de l'équipe de l'ancien président Marc Ravalomanana qui a déposé une plainte auprès de la Cour pénale internationale sur l'affaire du 7 février ?

Je ne suis pas un spécialiste de droit pénal. Il faut s'adresser à ceux qui ont préparé le dossier pénal.

Propos recueillis par

 

 

Iloniaina Alain

Lundi 27 juin 2011

 


Publié dans La Presse

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