50 ans Françafrique - CETRO (1ère partie)
Nous vous livrons ci-après un dossier qui ne manquera pas de nous intéresser sur nos relations passées et futures avec la France. Les malagasy et les français y gagneront à méditer sur les débats ouverts depuis le début de l’année 2009, sinon bien avant.
rovahiga
(Source : 50 ans-Françafrique-CETRO www.afrique2O1O.fr)
Nicolas Sarkozy :
“ En finir avec 50 ans
de Françafrique ”
Ce qui va changer entre la France et l’Afrique
C’est à l’occasion du 25e sommet des chefs d’Etat A f r i q u e - F r a n ce que Nicolas Sarkozy a créé la surprise en détaillant la feuille de route confiée au gouvernement pour réformer en profondeur les relations économiques, diplomatiques et militaires entre notre pays et le traditionnel “ pré-carré. ” de la France. Pour justifier ce virage à 180°, le président dit avoir été intimement touché par l’investissement humanitaire en Afrique de l’ouest de son épouse, Carla Bruni, qui s’est récemment impliquée aux côtés de Mélinda Gates, la femme la plus riche du monde, pour faire reculer la misère en Afrique. Carla B r u n i - S a r k o z y aurait alors pris conscience, et passé le message à son mari, que la misère a des causes politiques et que c’est donc avant tout dans le champ politique qu’il faut agir, notamment au Nord. Et notamment en France, pour bien des pays d’Afrique francophone qui ont conservé une forte relation de dépendance vis-à-vis de l’ancienne métropole. Tout un symbole à l’occasion de la célébration du c i n q u a n t e n a i r e des indépendances. Ce qui a fait dire à M. Sarkozy, avec l’ironie qu’on lui connait : “ 2010 sera la véritable année de la décolonisation ”.
La réforme se décline en 5 volets :
1/Responsabilité sociale, environnementale et fiscale des entreprises françaises
2/Aide au développement transparente et axée sur les biens publics
3/Limitation des relations diplomatiques aux gouvernements légitimes et respectueux des droits humains
4/Désengagement du franc CFA, « qui doit devenir africain »
5/Contrôle parlementaire sur les opérations militaires et limitation à des mandats onusiens
www.afrique2010.fr 03
ÉDITION SPÉCIALE
Les cinq grandes réformes en détail
Evènements
Le sommet
Afrique-France
Ce n’est pas un hasard si Nicolas Sarkozy a attendu ce 25e sommet des chefs d’Etat Afrique-France pour annoncer sa feuille de route en termes de politique africaine : il s’agit du premier sommet depuis son arrivée à l’Elysée, et la présence de tous les chefs d’Etat offre l’attention médiatique que mérite une telle annonce, tant en France qu’en Afrique. En outre, le faire en plein débat franco-africain sur le cinquantenaire des “ indépendances ” devrait permettre de s’attirer la sympathie des ONG d’habitude si promptes à critiquer.
Analyse détaillée de la réforme annoncée, par notre envoyé spécial Stéphane Smith
Désengagement du franc CFA
Moins spectaculaire pour l’observateur peu averti, ce volet de la réforme va pourtant provoquer une révolution économique dans la quinzaine de pays de la zone Franc. Paris, qui dispose toujours de minorités de blocage dans les conseils d’administration des banques centrales de l’UEMOA et de la CEMAC, va se retirer unilatéralement et sans condition du Franc CFA. Elle n’exigera plus le versement de 50% des recettes d’exportations de ces pays sur un compte d’opération du trésor public français. On ignore encore si le CFA restera ou non la monnaie de l’intégration régionale africaine : cette décision reviendra désormais aux seuls Africains. Ce qui est sûr, c’est que le CFA ne sera plus arrimé à l’euro, ce qui évitera aux paysans africains de subir les aléas de la politique monétaire européenne, et les transferts financiers vers l’Europe ne seront plus avantagés au détriment des échanges entre pays africains.
Un business mieux encadré
Afin de mieux encadrer les activités des multinationales françaises en Afrique, le gouvernement va proposer une loi très stricte sur la responsabilité sociale et environnementale des entreprises (RSE), ainsi qu’une obligation de transparence fiscale permettant une lutte efficace contre la corruption et l’évasion des capitaux via les paradis fiscaux. Rappelons que malgré la concurrence internationale croissante, la France est de très loin le premier investisseur étranger dans les pays d’Afrique francophone, et bien sûr le premier exportateur des précieuses matières premières.
Une refonte de l’aide au développement
Un 14 juillet hautement symbolique
Une fois de plus, Nicolas Sarkozy compte accumuler les symboles. On sait déjà que les présidents et les armées des ex-colonies françaises sont invités à défiler le 14 juillet à Paris, en honneur des combattants africains qui participèrent à la libération de la France en 1944. Une “ fête nationale ” dont le chef de l’Etat devrait profiter pour panser les plaies du débat sur “ l’identité nationale ”, en reconnaissant pour la première fois la dette historique de la France envers les peuples colonisés et pillés depuis les indépendances. Sans savoir si cette demande de réparation ira jusqu’au versement d’une compensation financière, on apprend qu’elle sera l’occasion de lancer une régularisation massive des sans-papiers originaires d’Afrique.
La France va modifier le mode de calcul de son aide au développement. Entre autres, les montants conditionnés à la réalisation des investissements par des entreprises françaises (“ aide liée. ”), les salaires des fonctionnaires expatriés et les frais liés aux expulsions de sans-papiers ne seront plus comptabilisés en aide au développement. L’aide budgétaire directe, véritable “ obole aux dictateurs ”, et l’aide technique militaire telle que la formation des gardes présidentielles seront purement supprimées.
Fermeture des bases françaises et contrôle parlementaire des opérations extérieures
Cela pourrait passer pour le prolongement d’une réforme déjà annoncée par Nicolas Sarkozy en 2008 : la renégociation des accords de défense liant la France à certaines de ses anciennes colonies. Mais la réforme annoncée ici va beaucoup plus loin : le président part désormais du principe que l’armée française n’a rien à faire en son seul nom sur le continent africain, aussi a-t-il annoncé la fermeture rapide et complète des bases françaises au Sénégal, au Gabon et à Djibouti, ainsi que la fin de l’opération “ provisoire ” au Tchad depuis...1986! De plus, les interventions militaires françaises à l’étranger doivent correspondre à l’intérêt général, qu’une poignée de gradés d’un état-major peu enclin à la transparence ne saurait représenter : une réforme constitutionnelle imposera désormais au pouvoir exécutif d’obtenir l’aval du Parlement français avant le déclenchement de toute opération extérieure. Enfin, le Commandement des Opérations Spéciales, corps de troupes d’élites dépendant directement de l’Elysée, sera dissous.
Une révolution diplomatique
Voilà qui va modifier l’agenda élyséen ! Conscient que tous les chefs d’Etat autocratiques et corrompus sont friands d’un affichage politique auprès du “ président de la patrie des droits de l’homme ”, Nicolas Sarkozy sera désormais soucieux de l’instrumentalisation politique de son image : pour lui comme pour ses ministres, plus d’entretien avec des dictateurs qui cherchent à se légitimer en s’affichant aux côtés des officiels français. Mais cette exigence va au-delà : la France n’organisera plus unilatéralement de missions d’observation d’élections, et se conformera à des cadres multilatéraux. Elle cessera donc de se précipiter pour reconnaître officiellement les vainqueurs d’élections truquées.
“ Garder le contrôle sur un certain nombre d’Etats africains”
Les informations de la double-page précédente sont bien évidemment fausses ! Elles correspondent pourtant à ce que nous devrions lire.
Retour sur le néocolonialisme français en Afrique.
Cette année est celle du cinquantenaire des indépendances pour les 14 pays africains issus de l’empire colonial français. Mais 50 ans après la proclamation de ces indépendances en droit, force est de constater que ces pays restent étroitement soumis à une dépendance de fait à l’égard de la France, qui se taille la part du lion dans l’exploitation des matières premières en l’échange d’un soutien économique, diplomatique et militaire aux désormais célèbres “ dictateurs amis de la France ”.
Depuis 1960, la souveraineté des pays “ décolonisés ” s’est toujours heurtée à la préservation des intérêts de quelques institutions et entreprises françaises, comme le résumait en 2001 Loïk Le Floch-Prigent, à propos du groupe public qu’il dirigea :
“ Elf n’est pas seulement une société pétrolière, c’est une diplomatie parallèle destinée à garder le contrôle sur un certain nombre d’Etats africains, surtout au moment clé de la décolonisation. [...] Il s’agit également d’un prolongement de l’Etat, afin que la politique africaine soit bien conforme aux intérêts du pays. Disons que le président d’Elf est à la fois président d’une société pétrolière et ministre bis de la Coopération. Et c’est justement parce que cette société avait un objet politique et diplomatique en Afrique qu’elle a de tout temps financé les services secrets. ”
ALICE PRIMO
“ une diplomatie parallèle ”
“ LA FRANCE DEVRAIT CESSER DE NUIRE AVANT DE PRÉTENDRE AIDER ”
Outre les récurrentes réélections frauduleuses des vieux amis dictateurs (Congo-B, Cameroun, Tchad, etc.), la France s’est sans surprise bien accommodée des récents putschs et mascarades électorales au sein de son traditionnel pré-carré. Ainsi, les successions quasi-monarchiques au Togo (2005, confirmée en 2010) et au Gabon (2009), et qui semblent inspirer le président sénégalais, ne posent pas de problème à des responsables politiques français visiblement ravis de continuer avec la jeune génération les affaires initiées dans la “ Françafrique de papa ”. En Mauritanie et à Madagascar, la grossière validation de processus de transition ne vise rien d’autre qu’à légitimer les putschs discrètement soutenus par Paris en 2008 et en 2009. Enfin, dans les crises du Niger et de Guinée, où les réseaux français semblent avoir plusieurs fers au feu, on constate déjà que l’exigence démocratique ne pèse pas lourd face aux enjeux miniers.
OLIVIER LERBROL
Carton rouge pour la France !!
Notre politique africaine reste un « domaine réservé » opaque, au détriment des peuples africains et français. Protégées par notre armée, les élites corrompues livrent les richesses de leur pays aux entreprises françaises.
Domaine réservé
La politique africaine de la France reste décidée à l’Élysée, en-dehors de tout contrôle démocratique et sous l’influence de multiples réseaux plus ou moins occultes : armée, services de renseignements, milieux politico-affairistes, “ amitiés ” personnelles avec des autocrates africains... L’omnipotence présidentielle en matière de politique africaine est masquée derrière un enchevêtrement d’organes de décisions et de structures administratives censées intervenir sur ce champ (ministères des Affaires Étrangères, de l’Économie, de l’Immigration, secrétariat d’État à la Coopération, AFD, etc.), qui contribue à diluer les responsabilités et à renforcer l’opacité du système de prise de décision. Le centre de gravité décisionnel s’est déplacé de la cellule diplomatique vers le secrétaire général Claude Guéant, éclipsant souvent les ministres concernés (en particulier Bernard Kouchner). Quant aux supposés “ réformateurs ” de la cellule africaine qui avaient fort à faire face aux conseillers occultes comme Robert Bourgi, ils ont été éloignés les uns après les autres en 2009, tout comme leurs collègues de la “ coopération ” à l’arrivée d’Alain Joyandet. Malgré une réforme en 2008, la Constitution ne donne toujours pas au Parlement les moyens d’exercer un réel contrôle sur cette politique, d’autant plus que les parlementaires restent pour la plupart très timorés sur ce sujet.
Etat-major et états fantoches
Le contrôle judiciaire est également très relatif, comme le montrent les incessantes tentatives d’ingérence de l’exécutif dans les différentes instructions et les décisions de justice concernant les affaires françafricaines (Biens Mal Acquis, Angolagate etc.).
Il ne reste officiellement que trois bases militaires françaises en Afrique (Gabon, Sénégal, Djibouti). Mais parallèlement, les moyens de projection de forces armées depuis la France ont continuellement augmenté. Outre les 5000 hommes des bases militaires, entre 3000 et 5000 soldats français sont également présents en fonction de ces interventions “ ponctuelles ”. Ainsi, plus de 1100 militaires français sont présents au Tchad depuis plus de 20 ans, gardiens du régime criminel d’Idriss Déby.
Depuis son arrivée au pouvoir, le président Sarkozy a mis en oeuvre deux réformes censées incarner une “ rupture ”, mais dont la portée reste limitée et symbolique. D’une part les huit accords de défense restant sont renégociés, mais pas les autres accords militaires, et sans qu’il y ait de changement dans la politique française d’appui militaire à ces gouvernements illégitimes. D’autre part, les parlementaires disposent désormais d’un droit de regard sur certaines interventions militaires, mais uniquement a posteriori, pour le renouvellement des opérations de plus de quatre mois. Cela ne concerne donc pas les opérations “ coup de poing ” plus brèves, ni les interventions secrètes des forces spéciales du COS (Commandement des Opérations Spéciales), ni les opérations clandestines du service Action de la DGSE (Direction Générale de la Sécurité Extérieure), véritables gardes prétoriennes à disposition de l’Elysée.
Pillage à la française
Contrepartie de cette “ assurance-vie ” des dictateurs, la France continue de noyauter l’économie de toute l’Afrique francophone, notamment grâce au franc CFA : cette monnaie, arrimée à l’Euro et favorisant les échanges commerciaux avec le “ vieux continent ” au détriment d’un entrepreneuriat local, n’est toujours pas sous souveraineté des pays africains qui continuent de partager le conseil d’administration de leurs banques centrales avec la France. A ce système intégré de domination sont venus s’ajouter les tristement célèbres Plans d’ajustements structurels dictés par la Banque Mondiale et le FMI en l’échange de soi-disant remises de dettes, et dont la principale conséquence fut le démantèlement des États et la privatisation des services publics africains. En Afrique francophone, ces privatisations se sont faites au profit de groupes français qui se sont ainsi assuré une véritable mainmise sur certains secteurs d’activités (eau, électricité, transports, télécommunication, banque etc.).
La présence des entreprises française reste prédominante en Afrique, et surtout extrêmement rentable, malgré les discours sur leur “ recul ” supposé et sur le chiffon rouge chinois régulièrement agité. Ce patriotisme économique cache pourtant de plus en plus mal le manque de transparence et la corruption qu’elles génèrent, en Afrique comme en France, à travers notamment l’utilisation des paradis fiscaux (Affaire Elf, Angolagate etc.). Les populations exsangues des plus gros producteurs de pétrole du continent continuent ainsi de s’interroger sur la destination des immenses recettes pétrolières... Mais les entreprises françaises sont également loin d’être exemplaires en matière de Responsabilité sociale et environnementale, comme l’ont montré les récents éclairages sur les conditions de travail déplorables dans les plantations liées au groupe Bolloré au Cameroun, ou encore sur les conséquences de l’exploitation de l’uranium par Areva au Gabon et au Niger.
Alice Primot
Un appel à
“ se libérer ”
Un appel intitulé “ Libérons-nous de 50 ans de Françafrique ”, signé par une quarantaine d’artistes, d’universitaires, de politiques, de responsables associatifs etc. demande aux autorités françaises d’en finir avec le pillage, la corruption et le soutien à des régimes souvent autoritaires, et de rebâtir sur de nouvelles bases la politique africaine de la France.
Retrouvez-le en ligne sur www. afrique2010.fr
(Suite sur 2ème Article)