Dérives dictatoriales en françafrique (suite et fin)

Publié le par Ampitapitao

Suite et fin

 

Enfin, à Madagascar, l’ambassadeur de France Jean-Marc Châtaigner fut pendant longtemps le seul représentant d’un État étranger a avoir des contacts officiels avec les putschistes. Il assista même à une cérémonie de remise de décorations organisée par la junte. Lors des négociations du groupe de contact international sur Madagascar, l’ambassadeur s’est distingué par son activisme diplomatique pro-Rajoelina forcené, face aux autres diplomates européens beaucoup moins enclins à apporter leur soutien à un régime manifestement illégitime.

Outre la diplomatie, la Françafrique s’appuie sur son autre pilier qu’est la coopération. Celle-ci est donc également un bon indicateur de la position française au regard des élections truquées et des changements de régimes inconstitutionnels.

Ainsi, contrairement à l’Union Européenne qui suspend régulièrement sa coopération avec les régimes inconstitutionnels au nom des accords de Cotonou qu’elle a signés avec ses partenaires africains, la suppression des aides financières liées à la coopération française est très sélective. Pour la Mauritanie, il aura notamment fallu attendre le gel des aides américaines et européennes pour que la France fasse de même, avant de reprendre immédiatement ses versements dès la légitimation de l’élection du putschiste Abdel Aziz. En revanche les vannes de l’aide destinée à Madagascar sont restées grandes ouvertes malgré le putsch, à tel point que le département d’État américain a publié à ce propos une déclaration indiquant que la coopération bilatérale avec un « régime inconstitutionnel (…) [lui] posait un problème ». En Guinée, le massacre du 28 septembre 2009 provoqua bien une suspension de l’aide, mais celle-ci fut limitée à la seule coopération militaire. Au Niger, alors que l’Union Européenne avait suspendu son aide et condamné le régime désormais inconstitutionnel du président Tandja, et que le pays était également exclu de la CEDEAO, la France a continué coûte que coûte à verser son aide à son précieux partenaire nigérien. Quant au Congo-Brazzaville, à la Tunisie, et à l’Algérie, la coopération se poursuit bien évidemment comme si de rien n’était...

Le meilleur baromètre de l’attitude françafricaine à l’égard de ces dérives dictatoriales n’est d’ailleurs pas le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, mais bien le secrétaire d’État à la Coopération et à la Francophonie, Alain Joyandet. En effet, le champion de l’humanitaire et des nobles causes semble réduit à un rôle subalterne sur les dossiers africains. A l’exception de quelques déclarations comme celle-ci, à propos de la Mauritanie, qui souligne l’ampleur du décalage entre la vision française et les réalités locales : « le général […] Abdel Aziz [devait] démissionner au moins 45 jours avant l’élection présidentielle s’il souhait[ait] s’y présenter », alors qu’à ce moment, l’ensemble de la communauté internationale et l’opposition mauritanienne s’opposait au principe même d’une élection.

En revanche, son secrétaire d’État à la Coopération Alain Joyandet est un serviteur particulièrement zélé de la Françafrique. Toujours présent aux avant-postes, il est là quand les autres pays occidentaux n’osent pas envoyer de ministre : en Libye pour le quarantième anniversaire de la prise de pouvoir du colonel Kadhafi, en Guinée Conakry où il fut le premier responsable à rencontrer la junte, en Mauritanie pour la cérémonie d’investiture du général Abdel Aziz, au Gabon où il fut le premier officiel étranger à s’entretenir avec Ali Bongo, après être allé se faire adouber par Bongo père à sa prise de fonction, ou encore en Guinée équatoriale où il est allé rencontrer le sanguinaire Teodoro Obiang Nguéma réélu à 97 %...

Alain Joyandet est aussi l’homme des petites phrases qui en disent long, comme l’illustre ce petit florilège : concernant ses visites en Guinée et en Mauritanie, « j’assume ces déplacements voulus par Nicolas Sarkozy » ; à propos du putsch en Mauritanie, « les revendications des militaires (…) ne sont pas toutes illégitimes » ; sur le référendum au Niger, « les premiers résultats (…) ne sont pas contestables » ; ou encore sur les élections au Gabon « la seule chose que [la France] fait dans cette élection, c’est d’aider au déroulement normal des opérations »…

Mais comme beaucoup d’autres membres du gouvernement, Alain Joyandet est avant tout le porte-parole de Nicolas Sarkozy. Il est vrai qu’en Françafrique particulièrement, la tête et le cœur sont toujours à l’Élysée.
L’Élysée, ses émissaires officieux et ses conseillers Afrique

Le président français s’appuie également largement sur « des émissaires officieux » qu’il dénonçait pourtant comme étant « d’un autre temps » lors de sa campagne électorale. Ces individus dont il regrettait alors qu’ils n’aient « d’autres mandats que ceux qu’ils s’inventent » n’ont toujours aucun mandat officiel, mais ne cessent de faire-valoir leur proximité avec Nicolas Sarkozy pour légitimer leur activisme affairiste et diplomatique sur le continent africain.

On se doit de citer ici l’inusable Patrick Balkany, maire UMP de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) et très proche du président français dont il a pris le fils Jean sous son aile. Outre son rôle trouble d’intermédiaire pour le géant français du nucléaire Areva en Centrafrique et en RDC, Balkany s’est distingué par de fracassantes déclarations en faveur des putschistes mauritaniens ou encore guinéens. A propos de l’élection présidentielle en Guinée qui devait mettre fin au gouvernement militaire de transition, celui-ci a ainsi déclaré que « la candidature de Moussa Dadis Camara ne [posait] pas de problème. C’est un citoyen guinéen comme les autres. Ce qui est important, c’est le respect de la forme. La régularité. La transparence des élections. » Peu après ces propos, des centaines de Guinéens se faisaient massacrer pour s’être rendus à un rassemblement visant à protester contre cette candidature...

Mais le plus emblématique des conseillers occultes du président en matière d’affaires africaines est sans conteste l’avocat Robert Bourgi. Celui-ci se présente lui-même comme l’intermédiaire entre l’Élysée et les dictateurs françafricains. Nicolas Sarkozy le décore d’ailleurs de la Légion d’honneur dès son arrivée au pouvoir en 2007, affirmant « pouvoir continuer à compter sur [sa] participation à la politique étrangère de la France, avec efficacité et discrétion ». Parmi les méfaits dont il s’honore, Bourgi s’est notamment vanté d’avoir obtenu, à la demande d’Omar Bongo, la destitution du secrétaire d’État à la Coopération Jean-Marie Bockel, coupable d’avoir voulu « signer l’acte de décès de la Françafrique ». Très en cour au Gabon, Bourgi a activement fait campagne pour le fils Bongo, affirmant qu’Ali Bongo était « le meilleur défenseur des intérêts français ». Soucieux d’être plus explicite, il est allé jusqu’à déclarer au Monde : "Mon candidat, c’est lui. Or, je suis un ami très écouté de Nicolas Sarkozy et de manière subliminale, l’électeur gabonais le comprendra "...

En Mauritanie, on l’a également vu participer dans la capitale à la campagne électorale du putschiste Mohamed Ould Abdel Aziz, après avoir introduit les représentants de la junte auprès l’Élysée. A Madagascar enfin, il a dépêché un de ses proches, Patrick Leloup, comme conseiller auprès du putschiste Andry Rajoelina.

Mais Bourgi n’est qu’un avatar de l’éminence grise sarkozienne Claude Guéant, pour qui il a joué à plusieurs reprises l’entremetteur (Mauritanie, Côte d’Ivoire, etc.). Le secrétaire général de la présidence est en effet le véritable successeur de Jacques Foccart : à l’instar de son sulfureux prédécesseur, Guéant a la haute main sur les affaires africaines (mais pas uniquement), et sa politique est claire : « On ne va pas se brouiller avec ceux qui nous rendent de grands services ».

Il a ainsi usé de son influence pour que Kadhafi reçoive le putschiste malgache Andry Rajoelina, après l’avoir lui-même reçu fin janvier 2009.

Claude Guéant a également rencontré à Paris les généraux putschistes mauritaniens à plusieurs reprises. Il a également reçu, à la mi-septembre 2009 (juste avant le massacre du stade), le général Sékouba Konaté, alors n°2 de la junte guinéenne, et qui assure l’intérim à la tête du pays depuis la tentative d’assassinat contre Moussa Dadis Camara, avant de recevoir un ministre du putschiste guinéen quelques jours à peine après les massacres et tandis que les chasses à l’homme se poursuivaient dans Conakry. Il a également reçu Ali Bongo, officieusement bien sûr, suite à l’élection contestée de ce dernier à la tête du Gabon.

Outre ces rencontres parisiennes, Claude Guéant voyage aussi beaucoup sur le continent. Au Gabon par exemple, où encore en Côte d’Ivoire, à propos de laquelle il serait d’ailleurs intéressant de connaître sa position en cette période de tensions liées à la préparation de l’élection présidentielle, surtout depuis le rapprochement Bolloré-Gbagbo...

Mais les signaux les plus forts de ce soutien français furent évidemment apportés par le personnage incarnant la plus haute autorité de la République, Nicolas Sarkozy. Celui-ci s’est ainsi rendu à Brazzaville où sa rencontre avec Sassou Nguesso, alors en pleine campagne électorale, fut perçue comme un soutien sans faille, ce que ce dernier ne s’est d’ailleurs pas privé de souligner. Lors d’un déplacement en Tunisie en 2008, le président Sarkozy assura également le président Ben Ali de sa « confiance totale », saluant d’hypothétiques progrès en matière de droits de l’Homme dans ce pays qui abrite pourtant l’un des régimes les plus policiers du continent. Nicolas Sarkozy fut d’ailleurs l’un des premiers chefs d’État occidentaux à féliciter Ben Ali pour sa réélection, comme il le fit pour l’ Algérien Abdelaziz Bouteflika, pourtant tout aussi peu respectueux de la démocratie que son voisin tunisien.

Concernant le Gabon, la réception d’Ali Bongo par Bruno Joubert, alors conseiller Afrique de l’Elysée, et surtout par le président français dès novembre 2008, fut un signe fort du choix de la France dans la guerre de succession provoquée à Libreville par le décès du patriarche Bongo. L’ordre protocolaire en fut d’ailleurs bouleversé : un simple ministre de la Défense, ce qu’était à ce moment-là Ali Bongo, ayant été reçu au palais présidentiel français, alors même que des présidents en séjour parisien n’y ont pas été accueillis. Le président Sarkozy a d’ailleurs reconnu l’élection d’Ali Bongo avant même que les recours devant le Conseil Constitutionnel gabonais n’aient été examinés... Depuis, l’heureux « élu » enchaîne les voyages à Paris. Il fut ainsi officiellement reçu deux fois à l’Élysée en moins de trois mois (novembre 2009 et janvier 2010), un record !

A propos du coup d’État à Madagascar, le président Sarkozy, tout en le déplorant, précisait qu’« il y a beaucoup de choses à dire sur l’ancien président [Marc Ravalomanana]. » Il est tout de même significatif d’enterrer le président renversé en l’appelant « ancien président », surtout en appuyant sur des griefs dont on ne sait pas de qui ils émanent, sauf peut-être des « intérêts français ». De même, pour sortir d’un coup d’État et résoudre le problème de l’illégalité du gouvernement (selon l’UA) et donc revenir à l’ordre constitutionnel, Nicolas Sarkozy « [a appelé] à des élections le plus rapidement possible » considérant qu’il s’agissait de « la seule façon de sortir de l’imbroglio ». Ou comment entériner le renversement d’un président avec lequel les relations étaient difficiles.

En voyage au Niger en mars 2009, le président français donnait là encore son opinion sur le président nigérien Mamadou Tandja : « C’est lui qui a redonné à la démocratie ses lettres de noblesse dans le pays »... au moment où ce dernier préparait son coup d’État constitutionnel dont les services français, très présents dans le pays, n’ignoraient sans doute rien. Dans la foulée, il justifiait la future inertie française en ces termes : « le Niger c’est un partenaire stratégique absolument essentiel. »

Suite au putsch en Guinée, le président français s’est simplement dit « préoccupé », sans condamner pour autant cette prise de pouvoir par la force. Enfin concernant la Mauritanie, N. Sarkozy enchaîne les mensonges les plus éhontés. En mars dernier, il affirmait ainsi que la France avait été la seule à protester face au putsch, « lorsque le président démocratiquement désigné a été retenu, moi-même je l’ai appelé, moi-même j’ai exigé qu’il soit libéré, mais enfin, force est de constater qu’il n’y a pas eu un député ou un parlementaire qui a protesté et qu’il n’y a pas eu de manifestations ». Outre le fait que Nicolas Sarkozy n’a jamais appelé le président renversé après le coup d’État, la France s’est contentée de faire part de ses préoccupations et d’affirmer suivre avec attention l’évolution de la situation. Le président français sera finalement un des premiers chefs d’État à féliciter Mohamed Ould Abdel Aziz après son élection frauduleuse, alors même que l’UE insistait sur le fait que « les allégations de fraude électorale devraient faire l’objet d’enquêtes appropriées ». N. Sarkozy ne semble donc pas perturbé le moins du monde d’avoir contribué à l’élection d’un nouveau chef d’État illégitime.

Au contraire, lors de ses vœux aux corps diplomatiques, le chef de l’État se vante d’avoir « soutenu sans réserve [un processus] qui a conduit au rétablissement de la légalité, puis à l’élection du président Aziz ».

On a beau être habitué au style décomplexé qui est devenu la marque de fabrique de l’expression présidentielle, on reste tout de même coi face à l’aplomb avec lequel Nicolas Sarkozy assène les contrevérités les plus flagrantes !

 Source :   http://mggdago.blogspot.com  AMPITAPITAO.

Publié dans COMMUNIQUE

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